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Compte-rendu de La Société Future |
GM-SFfr.1 | M. de Molinari refait toujours le même livre, mais comme il le fait bien et quil reprend toujours les plus hauts problèmes non seulement de léconomie politique mais de la destinée humaine, on le relit toujours avec plaisir. |
GM-SFfr.2 | On admire aussi la belle tenue de cette vie scientifique que le doute ne paraît pas avoir jamais effleurée. A la fin de ce volume, lauteur reproduit un appel daté de 1848 et adressé par lui aux socialistes dans lequel il sexprimait ainsi: Si nous vous prouvions que tous les maux que vous attribuez à la libre concurrence ont pour origine non pas la liberté, mais le monopole, mais la servitude; si nous vous prouvions quune société parfaitement libre, une société débarrassée de toute restriction, de toute entrave, ce qui ne sest vu à aucune époque, se trouverait exempte de la plupart des misères du régime actuel; que lorganisation dune semblable société serait la plus juste, la meilleure, la plus favorable au développement de la production et à légalité de la répartition; si nous vous prouvions cela, dis-je, que feriez-vous? Et depuis plus dun demi-siècle que M. de Molinari a écrit ces paroles, il na pas cessé, dans tous ses livres, dessayer de faire et de refaire cette demonstration. |
GM-SFfr.3 | Dans la société de lavenir dont il nous présente à nouveau le tableau, tous les obstacles qui gênent aujourdhui le jeu de la concurrence (ou de loffre et de la demande, cest la même chose) monopoles légaux résultant de limperfection des moyens de transport, de linsuffisance de la connaissance du marché, même de la timidité de la speculation, seront abolis. Il en résultera que les prix de toutes choses coïncideront de plus en plus exactement avec le prix de revient et que ce prix de revient lui-même sera au minimum, que léquilibre entre la production et la consommation, par une consequence nécessaire, sera de plus en plus parfait, que la repartition des richesses sera un simple phénomène déchange – les capitaux et le travail séchangeant comme les produits contre des produits, sur le même marché et daprès les mêmes lois, cest-à-dire daprès les frais necessaries pour produire le capital et pour produire la main-dœuvre, toute question de justice se trouvant ramenée à une nécessité naturelle. |
GM-SFfr.4 | Toutefois ces lois naturelles donneront dans une large mesure toute satisfaction aux revendications socialistes, car elles assurent la hausse continue des salaries et la baisse continue aussi de lintérêt. Le prix du travail doit monter parce que la production intensive exige un travail de qualité supérieure et que plus la qualité du travail sélève, plus saugmentent ses frais de production. Le taux de lintérêt doit baisser parce que les elements necessaries de sa rétribution, à savoir la privation et les risques encourus par le prêteur, vont diminuant. Lauteur fait à ce propos cette remarque très juste que, grace à la possibilité de réaliser immédiatement les valeurs dites mobilières, la privation resultant de limmobilisation et de lindisponibilité plus ou moins longue des capitaux placés, a disparu. Et il prévoit le jour où la rétribution de cet agent productif tombera au dernier minimum possible, cest-à-dire tout près de zero. |
GM-SFfr.5 | Tout cela est déjà connu et constitue ce programme de léconomie politique optimiste dont dailleurs M. de Molinari est, après Bastiat, le principal auteur, et qui tend à être repris aujourdhui sous une forme pas très différente, sauf quelle élimine toute preoccupation de finalité, par lécole hédoniste. |
GM-SFfr.6 | Mais ce qui nappartient quà M. de Molinari cest le même programme transposé dans lordre politique, tous les services publics, voirie et transport, enseignement, justice, même sécurité, confiés à de grandes Compagnies soumises au régime de libre concurrence et qui, à cause de cela, les exécuteront au plus bas prix possible at au mieux des intérêts des consommateurs. En effet, en ce qui concerne la police par exemple (ce nest pas M. de Molinari qui cite le fait, mais il pourrait le faire), lagence Pinkerton, aux États-Unis, ne se charge-t-elle pas dassurer la sécurité de qui le lui demande, en lui fournissant des agents de police? Et tous les impôts par là seront supprimés ou de moins transformés en simples cotisations rigoureusement proportionelles au service rendu, des primes dassurances, de même nature mais bien plus économiques encore que celles payées aujourdhui aux Compagnies dassurances. |
GM-SFfr.7 | La guerre disparaîtra aussi parce quelle ne rapportera plus de profit et même ne paiera plus ses frais. Mais à propos du precedent livre de lauteur, Grandeur et décadence de la guerre, nous avons essayé de démontrer ici que la guerre était, au contraire, quand elle réussit, une magnifique operation industrielle, hélas! |
GM-SFfr.8 | Bref, la guerre militaire qui nest quune des formes de la concurrence destructive, disparaîtra pour être remplacée par la guerre industrielle, qui nest quune des formes de la concurrence productive, et qui, à la difference de la première, assure la victoire à celui qui sert le mieux lintérêt de tous. |
GM-SFfr.9 | Telle est cette cité future. Elle ne paraît guère moins utopique que celle de Salente ou dIcarie et elle nous semble, somme toute, moins attrayante, peut-être parce que nous ny voyons pas de differences assez certaines avec celle où nous vivons et parce quen fin de compte il lui manque un ideal. Il semble que lauteur lui-même en ait le sentiment, car ce livre si optimiste se termine par une phrase mélancolique et qui nest pas propre à stimuler beaucoup. Il se demande quel est en fin de compte le but de lévolution économique: Et ce but, cest laccroissement de la puissance de lespèce humaine en vue dune destination qui nous est inconnue. |
Ch. GIDE.
Revue déconomie politique (dec. 1899, N° 12), p. 1041-42.