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Les Bourses du Travail (1893)par Gustave de Molinari (1819-1912)Chapitre VIII:
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LEfr-8.1 | Il y a aujourdhui, dans lensemble des pays civilisés, une demande et une offre constantes de travail libre, de même quil y avait jadis une demande et une oflre constantes de travail esclave. La demande est causée dun côté par les vides que la mort, les accidents, etc., creusent dans le personnel employé dans les anciennes entreprises, dun autre côté par les emplois que créent les nouvelles, dans les pays où la production est en voie de développement. Loffre provient de la génération qui arrive à lâge où son travail peut être utilisé, et des travailleurs qui se trouvent sans emploi. Mais tandis que loffre et la demande des capitaux et des produits sopèrent dans un rayon de plus en plus étendu, loffre et la demande du travail sont communément renfermées dans les limites du même foyer dindustrie et de population: les ouvriers de lindustrie lyonnaise se recrutent à Lyon même et dans la région avoisinante, les ouvriers des charbonnages du Hainaut dans le Hainaut, etc., etc. Lorsquune demande extraordinaire se produit, elle attire sans doute le travail du dehors, et, de même, en cas de surabondance, lexcédent sécoule en partie: les ouvriers qui possèdent quelques ressources sen vont, sur la foi de renseignements trop souvent incertains, à la recherche du travail dans quelque grand foyer dindustrie.1 Cest ainsi que les ouvriers belges affluent dans le département du Nord et à Paris, les Italiens dans les départements du Midi. Mais la localisation des marchés du travail nen demeure pas moins le fait général. |
LEfr-8.2 | Il en serait autrement si le travail avait à son service un système dintermédiaires, développé à légal de celui qui mobilise dans lespace et le temps les capitaux et les produits. Supposons que lindustrie du placement devienne assez productive pour attirer comme les autres intermédiaires lesprit dentreprise et les capitaux: que des sociétés puissantes se constituent pour lexercer, les marchés du travail ne tarderaient pas à sétendre comme se sont étendus les marchés des capitaux et des produits à mesure que les établissements de crédit et les entreprises commerciales se sont multipliés et agrandis, les déficits des uns seraient comblés par la surabondance des autres; enfin, la fixation du prix du travail cesserait dêtre influencée par lintensité inégale des besoins des deux parties; il deviendrait impersonnel, et sétablirait, comme le taux de lintérêt, le prix des céréales, des cotons, des laines et des autres articles, déjà en possession dun marché général, daprès la masse et le rapport des quantités offertes et demandées. Louvrier ne pourrait plus se plaindre dêtre exploité par lentrepreneur, car le taux du salaire dépendrait dun fait sur lequel les entrepreneurs et les ouvriers ne pourraient plus exercer une influence appréciable, en suspendant individuellement ou même collectivement leur offre ou leur demande, savoir létat dun marché devenu illimité. Et de même que lextension des marchés des capitaux et des produits a suscité lintervention et le développement de la publicité financière et commerciale, et la création des Bourses, celle des marchés du travail ferait naître des agents et des institutions analogues. Ces intermédiaires auraient besoin de connaître, jour par jour, létat des marchés, pour aller chercher le travail dans ceux où il serait plus offert que demandé, et le porter dans ceux où il serait plus demandé quoffert. La publicité et les Bourses pourvoiraient à ce besoin de lindustrie des intermédiaires du placement du travail comme elles pourvoient à celui de lindustrie des intermédiaires du placement des capitaux et des produits. Est-il nécessaire dajouter que ce rouage mobilisateur du travail se créerait et se développerait de lui-même, aussitôt que lesprit dentreprise et les capitaux trouveraient intérêt à le créer, cest-à-dire aussitôt quil pourrait leur procurer un profit rémunérateur? Il suffirait de les laisser faire. |
LEfr-8.3 | Cependant, ce progrès a rencontré un obstacle qui na jusquà présent pu être surmonté, savoir limpossibilité pour lintermédiaire de trouver dans le transport du travail à travers lespace et le temps, un profit rémunérateur. Cet obstacle ne provient pas de la nature de larticle quil sagit de transporter, car le travail libre ne diffère pas, en substance, du travail esclave. Il réside, comme nous lavons remarqué, dans les conditions de léchange du travail libre. Les forces productives de lesclave étaient lobjet dun achat, et lacquéreur en jouissait pendant toute la durée de cet instrument de travail. Les forces productives de louvrier libre sont lobjet dune simple location, et elles sont louées communément à court terme. Lexploitation à vie des forces productives de lesclave pouvait en conséquence procurer assez de profit pour couvrir lintérêt et lamortissement du capital employé à son acquisition, et ce capital suffisait à son tour pour rembourser à lintermédiaire les frais de lélève et du transport, avec adjonction dun profit rémunérateur. La location des forces productives de louvrier pour une journée, une semaine, un mois, ne procure point à lentrepreneur un profit assez considérable pour lui permettre de fournir une rétribution rémunératrice à un intermédiaire qui aurait à faire lavance des frais de transport, dun marché quelque peu éloigné à un autre. Ces frais, lintermédiaire pourrait, à la vérité, en demander le remboursement à louvrier lui-même. Mais louvrier est ordinairement dépourvu de ressources, il ne pourrait fournir à lintermédiaire que la garantie de son travail futur, et cette garantie ne pourrait être rendue effective quà la condition que louvrier engageât son travail pendant une période assez longue pour que sa dette pût être éteinte au moyen dune retenue sur son salaire. Or, un ouvrier engagé à long terme, et privé de la faculté de résilier son engagement jusquà lextinction de sa dette, cesse dêtre libre; il se trouve même réduit à une servitude plus dure que celle de lesclavage lexemple des coolies engagés pour sept ans latteste, car il est placé sous lautorité et la discrétion dun entrepreneur qui na aucun intérêt à ménager ses forces, qui est intéressé même à les épuiser, comme lest un fermier à épuiser une terre dont la jouissance va lui échapper. |
LEfr-8.4 | En résumé, la location à court terme des forces productives du travailleur substituée à lachat pour toute leur durée, le défaut de ressources de louvrier, et linsuffisance de la garantie quil peut offrir en hypothéquant son travail futur, constituent pour le transport du travail dans lespace et le temps, un obstacle que lon na jusquà présent surmonté que par le procédé de lengagement non résiliable, cestà-dire par le rétablissement de la pire forme de lesclavage celle de lesclavage à temps. Cet obstacle est-il donc insurmontable? |
LEfr-8.5 | Nullement, mais il implique un problème à résoudre celui de létablissement du crédit ouvrier. Il sagit donc dexaminer à quelles conditions le crédit peut être mis au service de la classe ouvrière pour lui permettre de tirer le parti le plus avantageux de lexploitation de ses forces productives. |
LEfr-8.6 | Tout crédit exige des garanties. Il faut que le prêteur soit plus ou moins assuré de recouvrer à léchéance le capital dont il se dessaisit, et den toucher exactement les intérêts, sinon il sabstient de prêter. Cette assurance, louvrier pris individuellement nest pas en position de loffrir, mais ne peulil pas la fournir collectivement? Supposons que les trades unions et les syndicats qui se sont constitués et qui se multiplient tous les jours, au lieu demployer leurs ressources à fomenter et à soutenir des grèves qui tournent trop souvent au détriment des ouvriers, se transforment en de simples mutualités de crédit; que ces mutualités offrent aux entreprises de transport et de placement du travail leur garantie collective, garantie appuyée sur le capital fourni par les cotisations de leurs membres, et qui sélève déjà, dans les principales trades unions de lAngleterre et des États-Unis, à plusieurs millions, les intermédiaires trouveront dans cette garantie collective la sécurité quune garantie individuelle ne pourrait leur procurer, et il leur deviendra possible de faire aux ouvriers mutualisés les avances nécessaires pour subvenir aux frais du transport de leur travail sur le marche le plus avantageux. Car si cette avance nétait point remboursée par lemprunteur, elle le serait par la mutualité. Ce serait laffaire de celle-ci den recouvrer le montant, et ce recouvrement que lintermédiaire ne pourrait opérer quavec difficulté et à grands frais, la mutualité lopérerait sûrement et sans peine, par la simple menace de lexclusion et de la mise à lindex du débiteur infidèle à ses engagements. |
LEfr-8.7 | Selon toute apparence, les banques populaires des systèmes Schultze Delitzsch, Raffeisen, Wollemborg, qui nont guère servi jusquà présent quà fournir des capitaux auxpetits entrepreneurs dindustrie et aux petits commerçants, cest-à-dire à une classe que la transformation économique des entreprises condamne à disparaître tôt ou tard, sont destinées à jouer un rôle important dans rétablissement du crédit ouvrier, et à faciliter ainsi la création du rouage du transport et du placement à distance. |
LEfr-8.8 |
Le problème de lextension des marchés et de leur unification progressive se trouvera alors résolu pour le travail comme il lest déjà pour les produits et les capitaux.
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LEfr-8.n1.1 |
Appendice. Note Y.
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