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LSAfr.1 | M. [Horace] Say, qui présidait, a proposé de porter la conversation sur un sujet très-délicat (qui avait déjà été abandonné dans une séance précédente par une digression relative à lassistance), sur la question de savoir quelles sont les limites des fonctions de lÉtat et de laction individuelle; si ces limites sont bien tranchées, et sil y a moyen de les préciser. Malheureusement, comme M. Say a dit que ce sujet lui était suggéré par la lecture de louvrage que vient de publier M. Molinari (Les Soirées de Saint-Lazare, dialogues sur divers principes déconomie sociale), il nen a pas fallu davantage pour que la question principale fût encore une fois abordée très-timidement et que la discussion portât sur divers autres sujets traités par M. de Molinari, et notamment sur le principe dexpropriation pour cause dutilité publique, que cet écrivain a combattu de la manière la plus absolue. Néanmoins, la conversation a été à la fois très-vive et très-instructive. MM. Coquelin, Bastiat, de Parieu, Wolowski, Dunoyer, Sainte-Beuve, représentant de lOise (qui assistait pour la première fois à la réunion, ainsi que M. Lopès-Dubec, représentant de la Gironde), Rodet, et Raudot, de Saône-et-Loire, ont successivement demandé la parole. |
LSAfr.2 | M. Coquelin, ayant pris pour point de depart de la discussion lopinion de M. de Molinari (qui pense que, dans lavenir, la concurrence pourra sétablir entre des Compagnies dassurance, capables de garantir la sécurité aux citoyens qui seraient leurs clients), a fait remarquer que M. de Molinari navait pas pris garde que, sans une autorité suprême, la justice navait pas de sanction, et que la concurrence, qui est le seul remède contre la fraude et la violence, qui seule est capable de faire triompher la nature des choses dans les rapports des hommes entre eux, ne pouvait pas exister sans cette autorité suprême, sans lÉtat. Au-dessous lÉtat, la concurrence est possible et féconde; au-dessus, elle est impossible à appliquer et même à concevoir. M. Bastiat a parlé dans le même sens que M. Coquelin; il croit que les fonctions de lÉtat doivent être circonscrites dans la garantie de la justice et de la sécurité; mais, comme cette garantie nexiste que par la force, et que la force ne peut être que lattribut dun pouvoir supreme, il ne comprend pas la société avec un pareil pouvoir attribué à des corps égaux entre eux, et qui nauraient pas un point dappui supérieur. M. Bastiat sest ensuite demandé si lexposé bien net, bien clair et bien palpable de cette idée, que lÉtat ne doit avoir dautre fonction que la garantie de la sécurité, ne serait pas une propagande utile et efficace en presence du socialisme qui se manifeste partout, même dans lesprit de ceux qui voudraient le combattre. |
LSAfr.3 | M. de Parieu, suivant M. de Molinari dans la discussion dun ideal très-lointain, pense que la question soulevée par ce dernier est celle de la lutte entre la liberté et la nationalité. Or, il nest pas impossible que ces deux principes se concilient assez naturellement. Déjà la Suisse offre des exemples de populations qui se séparent danciens cantons, pour fonder des États indépendants. Ils se décentralisent dune certaine manière; mais ils restent unis sous le rapport de la nationalité. M. Rodet a également cité des exemples analogues que présente lhistoire des développements de lUnion américaine. |
LSAfr.4 | M. Wolowski a émis lopinion que la civilisation des peuples comporte la coexistence de deux principes marchant parallèlement: le principe de la liberté de lindividu, et le principe de létat social, quil ne faut pas méconnaître, et qui est doué de sa vie propre. Lhonorable représentant ne pense pas que lavenir soit au morcellement des nations, il croit au contraire à leur agrandissement par voie dannexions successives. |
LSAfr.5 | M. Dunoyer, comme M. Coquelin et M. Bastiat, pense que M. de Molinari sest laissé égarer par des illusions de logique; et que la concurrence entre des compagnies gouvernementales est chimérique, parce quelle conduit à des luttes violentes. Or, ces luttes ne finiraient que par la force, et il est plus prudent de laisser la force là où la civilisation la mise, dans lÉtat. Toutefois, M. Dunoyer croit que la concurrence sintroduit en fait dans le gouvernement par le jeu des institutions représentatives. En France, par exemple, tous les parties se font une veritable concurrence, et chacun deux offre ses services au public, qui choisit bien réellement toutes les fois quil vote au scrutin. M. Dunoyer a voulu dire aussi que si M. de Molinari avait être trop absolu en proscrivant toute espèce dexpropriation pour cause dutilité publique, on avait été, dans ces derniers temps, trop enclin à violer la propriété; il a cité les tendances du gouvernement avant février 1848, ainsi que les doctrines émises au sein de la Constituante, avec ladhésion, pour ainsi dire, de la majorité. M. Sainte-Beuve et M. Bastiat nont pas accepté laccusation dirigée contre la majorité dune assemblée à laquelle ils ont appartenu. Toujours est-il que si, en fait, lAssemblée constituante na pris aucune determination dans le sens dont a parlée M. Dunoyer, il y a tout lieu de croire que ce nest pas par un jugement parfaitement sain de la majorité, que ce nest pas par raison économique, mais bien par esprit de réaction politique contre lextrême gauche, dominée par le socialisme, quelle a agi ainsi. |
LSAfr.6 | M. Raudot, qui a parlé le dernier, a partagé lavis de M. Wolowski sur la probabilité en faveur de la formation dÉtats de plus en plus grands dans lavenir; mais il pense que cette concentration conduirait les peuples à la plus grande tyrannie et à la plus grande misère, si lÉtat continuait à vouloir tout absorber et à laisser les municipalités sous une tutelle qui énerve la vie des communes et engendre le socialisme, dont on commence à comprendre les dangers. |
LSAfr.7 |
Comme on le voit, la question primitive indiquée par M. Say na pas été spécialement traitée, mais plusieurs members de la réunion se sont promis dy revenir.
Journal des Économistes, t. 24, no. 103 (15 octobre 1849), pp. 314-316.
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